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CHRISTOPHE GARCIA : UN CHORÉGRAPHE TRANS-ATLANTIQUE

  • Journal : Magazine Voo.ca
  • Date de parution : 10 October 2016

(à paraître)

Christophe Garcia est un jeune chorégraphe français qui a un pied à Marseille et l’autre à Montréal, traversant l’Atlantique plusieurs fois par année pour répandre ses créations sur deux continents. Ayant fondé les Ballets de la Parenthèse à l’âge de 21 ans, son prompt esprit d’initiative n’étonne pas moins que son talent.

Christophe Garcia a présenté récemment deux de ses chorégraphies à Montréal : à savoir Les rêveuses et Les Sylphides. La première fut performée au 10e festival Vue sur la Relève au mois d’avril dernier. Les rêveuses sont trois femmes anonymes qui fuient la réalité par le rêve sur des extraits de Gisèle, choix musical on ne peut plus approprié pour créer cette atmosphère onirique. Les mouvements incarnaient bien cette tentative de fuite lorsque les danseuses tentaient délicatement de s’élever vers un idéal prometteur pour redescendre aussitôt avec brutalité vers le concret de leur quotidien. C’était mon premier contact avec l’œuvre du chorégraphe et j’ai été aussitôt impressionné par la qualité du « fini » de cette pièce. Le résultat était hautement professionnel et je crois que c’est la justesse et la précision du rapport entre la musique et les mouvements qui renforçaient cette impression. Aussi étrange que cela puisse paraître, la danse contemporaine ne fait généralement pas de la concordance geste/musique sa priorité. Et ce peut être parfois agaçant pour le spectateur dans un cas où un danseur continue à performer, alors que la bande sonore est terminée depuis 6 minutes. C’est comme si on nous disait : « Au fond, la musique, on s’en fout ! ». Christophe Garcia, quant à lui, semble être très attaché à la musique sur laquelle il chorégraphie, on sent qu’il l’a bien écoutée, qu’elle a un impact dans le geste. Ce faisant, il prête une intelligence à son spectateur, il lui permet de comprendre quelque chose et, surtout, il en fait son véritable interlocuteur. La musique, ses changements, ses surprises, sa sensibilité dialoguent harmonieusement avec chacun des gestes chorégraphiés par Garcia.

L’autre pièce s’intitulait Les Sylphides et fut présentée en juin au festival Saint-Ambroise Fringe de Montréal. On nous y montrait un panorama assez sombre de la condition féminine, allant des mères débordées jusqu’à la putain, en passant par tout un chœur de veuves dévotes. Avec quelques accessoires et quelques éléments de décor, c’est une narration captivante que développait Les Sylphides. L’assistance était littéralement captivée, comme des enfants à qui on lit une histoire. À mon sens, ce côté théâtral-narratif de la danse chez Garcia est une autre des forces du chorégraphe.

En tant que spectateur, j’éprouve du plaisir à regarder ses créations et, même si je fréquente assez souvent les spectacles de danse contemporaine, je dois admettre que le plaisir n’y est pas toujours assuré. Certains diront que la création artistique, de quelque domaine qu’elle soit, ne doit pas « s’abaisser » à plaire au public (et combien de fois je l’ai entendu dire de compositeurs et de peintres !). Mais le problème est justement là. Il ne s’agit pas de s’abaisser à plaire, mais d’intéresser son auditoire. La nuance est majeure. Et je crois que dans les deux chorégraphies de Christophe Garcia, il n’y avait rien de la flagornerie, mais plutôt cet intense désir d’intéresser. Je dois avouer que c’est la première fois que j’ai vu un public émettre autant de réactions pendant un spectacle de danse contemporaine. Durant ses deux pièces, les gens s’exclamaient, riaient, poussaient des cris de surprise, … ils avaient du plaisir, quoi ! Il s’en faudrait de peu pour que les chorégraphes de danse contemporaine aient un public assidu à Montréal. Il ne suffirait que de travailler à les intéresser, de tenir compte qu’ils sont là à regarder pendant une heure et qu’ils ne reviendront pas si on les ignore toujours. Ce ne sont pas là des concessions à faire à la création artistique, c’est plutôt le minimum qui garantit à l’art une raison d’exister. Pour Garcia, c’est entre autres dans la narration et dans le dialogue juste entre la musique et la danse qu’il réussit à captiver son auditoire. Que chacun trouve d’autres moyens s’il le veut, mais, ce qui est certain, c’est que la danse contemporaine a besoin d’élever son public à lui, plutôt que de l’exclure en lui faisant croire qu’il n’est pas assez bien pour apprécier. C’est la seule façon d’assurer la pérennité de cet art. À quoi sert-il de créer, si l’on crée pour personne ?

Par Mickaël Bouffard.